jeudi 17 décembre 2015

La vertu de la parole

Revenons sur les risques psycho-sociaux dans nos grandes entreprises. Nous savons qu'ils sont dus à des comportements pathologiques inter-personnels, ou à des organisations complexes (matricielles), à différentes sortes de harcèlements, y compris par le silence, à des injonctions contradictoires, des humiliations, le sentiment de ne pas être à la hauteur, etc.
Un article récent sur ce blog traitait du besoin de briser le silence.
Allons plus loin. La lutte contre les défaillances ou les erreurs humaines a fait de gros progrès avec la démocratisation du trafic aérien ou le nucléaire, secteur dans lequel les une lacune de sécurité est très rapidement catastrophique et se traduit en vies humaines. Au coeur des processus de sécurisation se trouve l'apprentissage par retour d'expérience, qui se fait d'abord par la parole. La parole de vérité libère, même quand cette vérité est relative à une perception vécue comme vraie.
La CFTC, lors d'un échec en vol il y a quelques années, avait immédiatement alerté les dirigeants d'Airbus sur la nécessité absolue de garantir la non-punition de ceux qui prendraient la parole, au sein de la commission d'enquête, afin d'établir un climat de loyauté, de confiance, permettant d'élaborer l'arbre des causes. La CFTC avait même parlé de causes "molles", non liées à des faits uniquement techniques, mais à des principes de management ou des exigences calendaires ou économiques.
Cette vive recommandation a été suivie et toutes les conséquences ont pu être tirées de l'événement.

En Comité Central d'Entreprise de Airbus Defence and Space S.A.S., mardi 15 décembre 2015, un grand pas supplémentaire semble avoir été franchi. La Direction a reconnu un état de résistance extraordinaire à une fatigue exceptionnelle et durable. Mais elle sent aussi qu'on a atteint une limite, et des cas inquiétants d'épuisement se manifestent. La CFTC avait, peu de jours auparavant, tiré le signal d'alarme au sujet des équipes Ariane 6. Ainsi, lors de ce CCE, la Direction a-t-elle laissé les partenaires sociaux parler sans tabou des origines et des mécanismes qui étaient pathogènes dans l'entreprise. Elle n'a rien nié, rien relativisé. La question de l'omerta a été posée. Le coté néfaste d'une application stricte du "secret professionnel et médical" empêchant les partenaires sociaux de jouer leur rôle a été décrit. Il a été accepté que, sans banaliser le sujet, il fallait en faire autre-chose qu'un tabou culpabilisant pour tous : stressés et détecteurs de stress lanceurs d'alertes.

Puisse cette prise de conscience aller jusqu'au bout de l'analyse des causes et des enchaînements, quitte à remettre en cause le modèle économique et managérial lui-même de nos entreprises cotées.

Savoir dire "non" : un apprentissage difficile, pas si naturel que cela, mais salvateur. Personne n'est tout-puissant, nous avons tous nos limites. La sagesse est de les accepter  : les siennes, celles des autres, sans juger les personnes mais en les aimant.

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